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L'art de la parole

Il était une fois dans une petite maison près de la forêt, un individu qui toujours auprès du feu vous ensorcelait par ses mots. Son visage, tiré par des rides, vous racontait avec raison et sagesse des contes, des légendes, des fables, etc. Sa barbe lui conférait une autorité et devenait alors le gardien de la tribu, c'est lui qui racontait aux enfants et aux petits enfants les histoires de leur aïeux… Voici donc toute la vision quelque peu ringarde et vieillotte que l'on se fait du conteur qui ne serait là que pour amuser les enfants !

C'est pour cela qu'aujourd'hui nous parlons d'artiste de « l'art de la parole ». Un joli slogan vous ne trouvez pas ? Mais alors qu'est-ce que c'est que ça ? Une foutue catégorie relativiste fourre tout ? Ou au contraire la naissance d'un nouvel ensemble où le comédien, le dramaturge, le clown et le conteur peuvent se retrouver ? Afin d'en savoir plus, je suis allée dans le monde magique des arts de la parole, j'ai nommée « Mythos », un festival enchanteur au milieu d'un parc où j'ai pu découvrir Achille Grimaud, Marien Tillet et Mathias Castagné mais aussi Jérôme Rouger et Sébastien Barrier. Autant de noms que de façons différentes de prendre la parole.

« Sinon tapez # », voici le titre plutôt sobre du spectacle proposé par Achille Grimaud, un conteur qui voit dans cette discipline quelque chose d'ouvert. Ouvert car le conteur s'imprègne de tous les arts et surtout filtre la société pour créer ses histoires. Ce spectacle vous emmènera à travers la réalité dans l'imaginaire d'Achille Grimaud où plusieurs voix se font entendre, et ça même s'il est le seul sur scène. Non vous ne rêvez pas, ou peut être que si, mais vous êtes aussi éveillé qu'émerveillé par l'ardeur d'Achille qui déambule de toute part dans la salle. Mais le conteur n'est pas le seul élément clé du spectacle, car s'il conte c'est donc qu'il raconte à quelqu'un ! C'est donc vous les spectateurs qui faites vivre le conte. Grâce à votre écoute, vous « donnez du parfum à son histoire ». Le conteur c'est aussi quelqu'un qui, comme un vigneron, travaille d'arrache-pied sur une seule chose pendant 4 ans, puis lorsqu'il délivre enfin le vin à son client, lorsque le conte se délivre aux spectateurs, alors ils n'en font qu'une bouchée en à peine 10 minutes. Ceci étant dit, ce spectacle est comme un bon vin mais celui-ci est à consommer sans modération !

Et justement, Marien Tillet et Mathias Castagné vous donnent envie de consommer encore plus avec le spectacle délicieux « Ulysse nuit gravement à la santé ». Un concert épique avec un savant mélange de rap homérique et d'un jeu de guitare fantastique ! Marien Tillet nous fait vivre l'histoire de façon poétique, narrative, entre virage serré et pente raide pour le plus grand plaisir de vos émotions. Mathias Castagné lui nous emporte dans les vibrations créées par son étonnante guitare en boite à cigare. Nous nous imprégnons alors de la mélodie qui se mêle aux mots et aux chants. Un spectacle créé sur un pari risqué, celui de résumer en une heure et dix minutes les quelques quatre cent pages de l'Odyssée. Ils vous transportent donc d'ellipse en ellipse grâce à la manipulation aiguisée de Marien Tillet. Alors que font-ils à Ulysse ? Et bien ils le mettent à mal. Lui, un héros ? Mais il ne sauve personne et ne fait que des erreurs ! Pénélope, une héroïne parce qu'elle a su être sage et dévouée à son mari devant 50 prétendants « suintant la phéromone par litres entiers » ? Non ! Ici, elle devient une femme qui assume ses désirs et c'est peut être en ça qu'elle devient une héroïne… En tout cas, si le conteur sent la poussière pour certaines personnes dans ce spectacle, Marien Tillet et Mathias Castagné, la nouvelle génération de conteurs, prouvent par leur vivacité et originalité qu'ils sont là pour dépoussiérer tout ça !

Arrivée ici, on sent déjà que ce truc « art de la parole » n'est qu'une catégorie de plus pour tous ces auteurs de spectacle. Mais à qui servent ces catégories ? À nous, les spectateurs? Non, c'est peut être plus ici pour les institutions que pour ceux qui doivent créer des réseaux de diffusion afin que ces performeurs de la parole gagnent leur pain. Vous, vous en avez quelque chose à foutre de savoir que celui-ci est un conteur, que l'autre est comédien ou que celui d'à coté soit clown et qu'au final pour pôle emploi se sont tous des « acteurs dramaturges » ? Ah ! Mais attendez, peut être que ça vous aide à les stigmatiser. Non mais c'est vrai, on n'est pas venu voir un clown, merde ! On est venu voir un comédien ! Du coup, vous êtes déçu ! Bah oui, ils n'ont pas la même « étiquette ». Mais est-ce que le clown ne vous raconte pas aussi des histoires ? Et est-ce que vous-même vous n'êtes pas en train de raconter des salades là ?

Tiens en parlant de salade, à Mythos j'ai pu rencontrer le directeur de l'école d'agriculture ambulante, j'ai nommé Jérôme Rouger. Un cours plutôt bien ficelé afin de connaitre la réponse à cette question que tout le monde se pose : « pourquoi les poules préfèrent être élevées en batterie ? ». Ce spectacle au format « conférence/cours » est très atypique. C'est un savant méli-mélo de vraies et de fausses informations, une réflexion absurde munie d'une réflexion logique. Alors là, vous êtes dans le flou, est-ce qu'il pense tout ce qu'il dit ? Est-ce que c'est vrai ? Est-il vraiment en train de jouer ? Ou devons-nous commencer à prendre des notes, au cas où il y aurait une interrogation surprise? Et même si vous voudriez en savoir plus, je vous déconseille de lui poser une question ou même d'essayer de répondre à une des siennes car il est plutôt autoritaire le professeur (cependant pas d'inquiétude, aucun bonnet d'âne n'apparait et il ne vous mettra pas au coin, promis !). Ceci dit, dans l'amalgame du cours du directeur, vous percevez une petite ou plutôt grande critique de la condition des poules et par transparence celle de la condition humaine. Un cours sublimement fou qui vous rendra chèvre ou plutôt poule !

Enfin, finissons sur une ode à l'ivresse ou plutôt une dégustation commentée ou encore un apéro documenté pour « savoir enfin qui nous buvons ». C'est beaucoup de mots pour un seul spectacle mais c'est normal car Sébastien Barrier n'a pas la langue dans sa poche. Ce qu'il aime ? Entourer les mots d'autres mots, pour des propos toujours plus bavards les uns que les autres ! Alors oui, ça dure quatre heures mais ce sont quatre heures bien remplies ! Il passe par tellement de sujets, tellement de façons de vous raconter les choses, d'une prise de parole tonique où il nous présente les vignerons que nous buvons ou encore lorsqu'il gueule un récit touchant sur la dépendance… En effet, la prise de parole est multiple ici, rien n'est linéaire. Si vous voulez être étonné, offusqué, déçu ou même rigoler, Sébastien est votre homme ! Il y a tellement de puissance et de parole dans une seule personne qu'il pourrait vous faire faire ressentir quatre émotions distinctes en une phrase ! Il vous parlera de tout et de rien car rien n'est vraiment organisé chez lui, comme dans son spectacle (sachez que s'il a un appel pendant le spectacle il y répondra à coup sur !). Mais revenons au vin. En effet, entre deux mots de Sébastien, vous dégustez du vin, un vin qui ne s'appelle plus « château de je pète plus haut… » mais Noëlla ou Agnès et René (par ailleurs, ces vins des pays de la Loire sauront ravir toutes les papilles, avec des robes sublimes et des vins frais et fruités). Une expérience humaine très profonde où lorsque vous êtes pris dans les histoires de Sébastien Barrier, vous apprenez à connaitre ces vignerons à travers leurs bouteilles. Une invitation à la dégustation très chaleureuse, comme si nous étions dans son salon, Sébastien nous montre ses photos de soirée avec les vignerons, des moments donc très personnels. Il me dira d'ailleurs « les gens sont dans ma cabane, c'est la veillée, je raconte des histoires ». Un spectacle donc très ouvert, sans limite de temps, d'espace ou sociale, aucune barrière. Un message magnifique d'une parole d'ivresse et où l'alcool aidant on commence à s'ouvrir aux autres. Mais attention, même si dans ces folles histoires où il vous parle de son expérimentation des états lointain de l'ivresse et de désinhibition, il avoue « oui, c'est drôle mais il y a un moment où on peut basculer… ». Une petite mise en garde s'installe. « Savoir qui nous buvons » est un spectacle de folie, on pourrait clamer « Chapeau l'artiste ! ». (Mais attention, par artiste n'entendons pas quelqu'un d'extraordinaire mais quelqu'un avec un savoir faire. Et même s'il n'est pas un aussi beau/bon parleur qu'un camelot, il vous séduira de sa parole, sans artifice, sans texte, il vous dévoilera la sublime banalité de la réalité.) « Je fais ce métier pour que l'on m'aime, je ne suis que dans la séduction mais avec un besoin maladif de sincérité ». Alors oui, le conteur n'est pas une figure de première jeunesse mais c'est aussi parce que son histoire est longue alors ne restez pas dans le caricatural ! Les contes, les histoires et légendes vivent encore à travers d'autres générations et écoles, et oui le conteur a sa modernité ! Et puis au final, l'important c'est de prendre du plaisir à écouter, à comprendre, à vibrer dans un spectacle et non pas l'étiquette ou la catégorie que l'on met sur quelqu'un ! De plus, aucun n'ont la même formation, la même façon de prendre la parole, c'est aussi en ça que c'est génial ! « Art de la parole », une expression qui claque (pour reprendre Sébastien Barrier) pour éviter justement le coté caricatural du conteur (vous savez, le vieux avec le vieux livre qui le lit aux enfants) et de vous laisser aller à rêver devant des formes d'art qui vous semblaient désuètes. Arrêtez donc aussi de mettre certains artistes sur des piédestaux (bon, il est vrai que certains le font seul), ils ne sont pas plus extraordinaires que vous ou moi !

Hoppy Wine ?

c'est qui ?

Morgane amoureuse de la bière, je travaille en tant que responsable de communication pour une brasserie artisanale.

Passionnée d'art et beerloveuse je m'amuse en créant des photos étonnantes :)

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